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CONVERSATIONS


Mory Sacko,

cuisinier des

confluences 

Décembre 2021

Bitronomie

CONVERSATIONS


Mory Sacko, cuisinier des confluences 

Mory Sacko est, avec Adrien Cachot, le vainqueur moral de Top Chef 2020, l'édition la plus suivie de toute l'histoire de l'émission : une saison marquée par le confinement mais surtout par ce jeune cuisinier méticuleux, jovial et charismatique, qui a rencontré son époque, comme une évidence. Nouvelle icône contemporaine, Mory Sacko a connu une ascension éclair, couronnée par l'ouverture de MoSuke*, sa table gastronomique du 14ème arrondissement, décorée d'une étoile Michelin dès sa première année d'existence. 

 

Entretien au long cours avec ce chef des confluences, aux origines croisées et aux inspirations nomades, devenu une figure publique, en cuisine et au-delà. 

Portrait de Mosuke
triptyque_mosuke

Enfant, quelle place occupait la cuisine dans votre famille ?

 

Une place centrale, fédératrice, comme pour beaucoup de familles. Le repas était un moment où mes parents réunissaient ma grande fratrie autour de préparations ouest-africaines traditionnelles que l’on dégustait à la main. Ma mère a grandi sur toute la côte ouest de l’Afrique car son père, Malien, était commerçant. Elle a donc beaucoup bougé entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée… Il existe une continuité culturelle, culinaire notamment, entre ces pays. Chez moi, on mangeait aussi bien l’attiéké au poisson ivoirien que le yassa sénégalais ou le mafé que l’on retrouve dans toute la région. Dès mon plus jeune âge, j’ai été nourri par une cuisine voyageuse, une cuisine de melting pot.

 

Vous cuisiniez avec votre mère, petit ?

 

Pas du tout ! Quand j’étais jeune, j’étais plutôt intéressé par le foot et les jeux vidéo (rires). En revanche, j’aimais déjà manger ; c’est sans doute ici que la passion commence. J’ai également le souvenir impérissable de repas de fête pour lesquels ma mère cuisinait trois jours durant. Et en réalité, au quotidien, avec ses neuf bouches à nourrir, ma mère tenait presque un mini restaurant. Sachant que nous étions, qui plus est, de bons mangeurs !

 

Quel est le plat culte de votre mère ?

 

Sans hésiter, le tiep bou dien sénégalais (NDLR : un plat à base de riz agrémenté de sauces, légumes, viande ou poisson mijotés). Quand on apprenait que ma mère en faisait, c’était un événement : l’immeuble entier était en émoi et elle en distribuait à tous les voisins. C’est un vrai plat de partage, riche et complet, que l’on ne prépare jamais en petites quantités, ça n’aurait aucun sens !

Mory Sacko en cuisine

Comment êtes-vous arrivé aux fourneaux ?

 

Un peu par hasard : c’est un conseiller d’orientation qui m’a mis sur la voie d’une formation professionnelle dans la cuisine. J’étais déjà un tout jeune spectateur de Top Chef, dont j’ai regardé avidement les deux premières saisons, en plus des reportages sur l’univers de la gastronomie à la télé. Cela m'impressionnait beaucoup. Alors je me suis inscrit au lycée hôtelier de Savigny-le-Temple, où, à mon premier cours, j’ai dû brider une volaille : une activité des plus improbables pour moi mais qui m’a tout de suite plu !

 

 

Qui ont été vos maîtres ?

 

J’ai eu un déclic grâce au chef Hans Zahner (NDLR : aujourd’hui chef du Okura Prestige de Bangkok). Avant de le rencontrer, j’étais un très jeune cuisinier, un peu sur la retenue ; mais à son arrivée au Royal Monceau, il m’a propulsé au cœur d’une brigade de très haut niveau. J’ai été promu soudainement en Ligue des Champions des cuisiniers ! Au début, ça a été très dur. Et puis peu à peu j’ai trouvé mon rythme et le chef m’a fait confiance, au point de me demander, un jour, de créer un plat ! A partir de ce moment-là, j’ai lu, je me suis renseigné, je me suis construit une culture de haute gastronomie. C’est ce chef qui m’a appris à concevoir la cuisine et à donner une autre dimension à mon travail.

 

 

Que représente Thierry Marx pour vous ?

Si vous deviez le définir en trois mots ?

 

C’est mon mentor, dans le sens le plus noble du terme. Thierry en trois mots, je dirais : juste, intelligent, pédagogue. La cuisine, c’est aussi du management et il est très bon sur ces questions liées au savoir-être en cuisine. Et j’ai affiné ma patte à ses côtés, bien sûr : je lui dois en partie mon goût pour l’épure, la netteté et les dressages très précis. Le minimalisme de Marx consiste à penser qu’un plat, c’est peut-être trois, quatre bouchées, pas plus.

Restaurant Mosuke

Si vous deviez citer un plat inoubliable de Thierry Marx ?

 

Son plat signature : le risotto de soja surmonté d’une émulsion crémeuse et fromagère. Un plat simple, préparé de manière technique et présenté de façon complexe. Mais quand on le porte à la bouche, c’est une évidence, un pur plaisir : de l’émotion sous l’émulsion ! J’aime l’effet de surprise dans une assiette, l’idée qu’un plat ne se dévoile pas tout de suite au premier coup d’œil. Thierry Marx dit qu’un plat est une promesse : à charge pour le cuisinier de la tenir.

 

Quelle place occupe le Japon dans votre cuisine ?

 

Je ne suis jamais allé au Japon mais le Japon est venu à moi assez vite car les trois quarts des membres de la brigade de Thierry Marx étaient japonais. Avec eux, j’ai appris le kaiseki (NDLR : le repas gastronomique traditionnel) mais aussi et surtout la cuisine ménagère nippone : un riz au curry peut-être aussi émouvant qu’un sushi d’orfèvre. J’ai un attachement humble aux gestes et aux produits de la cuisine japonaise, par exemple le miso qui est d’une variété prodigieuse.

 

Si je vous dis, Top Chef vous me répondez ?

 

Cool (rires) ! Plus sérieusement, ce fut une super expérience : pour la visibilité bien sûr mais aussi parce que je me suis fait de vrais amis. Adrien Cachot vient souvent manger dans mon restaurant, c’est le meilleur client de MoSuke ! Je suis aussi resté proche de Justine Piluso ou de Diego Alary. Au final, cela a été pour moi une première expérience de rencontre avec le grand public via ce média incomparable que reste la télévision, avant ma propre émission, Cuisine Ouverte, que j’anime désormais, une fois par semaine, sur France 3.

 

Quel type de restaurant est MoSuke ?

 

C’est chez moi, c’est ma maison. Et c’est un restaurant gastronomique moderne. Ici, on est aux confluences de trois cuisines : l’ouest-africaine, la japonaise et la française. Cette hybridité se lit dans le nom de mon restaurant : MoSuke est un mot-valise, composé de « Mo » pour Mory et de Suke en hommage à (Ya)suke qui fut le premier et unique Samouraï africain ayant existé au Japon. Cette enseigne est un carrefour d’inspirations.

Plat Mosuke
Plat Mosuke 2

Quels sont les plats phares de votre carte ?

 

Il y a le bœuf au mafé, cette sauce à l’arachide et à la sauce tomate iconique de l’Afrique de l’Ouest. J’ai voulu la rendre contemporaine, sans rien perdre de ses marqueurs puissants. Je l’assaisonne au miso et à la sauce de tamarin à l’acidité élégante qui tranche avec la gourmandise enveloppante du mafé. On fait aussi mâturer le filet de bœuf dans le karité, un beurre végétal très utilisé en cosmétique mais aussi en cuisine en Afrique. Une fois aromatisée, la viande est grillée à la française mais au binchotan (NDLR : le barbecue au charbon de bois blanc japonais) qui fume la pièce avec subtilité. C’est un plat-emblème de ces croisées culinaires qui m’inspirent. Et je pense qu’il a marqué les esprits des inspecteurs du Michelin qui m’ont attribué l’étoile : ils ont entendu et compris mon langage. Tous ces mafés mangés chez ma mère n’auront donc pas servi à rien (rires) !

 

Il y a aussi le homard breton, joyau du terroir français, sublimé au barbecue. Pour concentrer l’umami (NDLR : terme japonais pour désigner une intensité des saveurs), je le condimente au miso de sésame noir, à l’harissa, au nori et à l’ail noir délié dans une bisque. C’est un plat dans lequel les techniques se superposent mais mon objectif est qu’on ne sente pas tout ce travail dans l’assiette, que le plat semble aller de soi.

 

Comment imaginez-vous une composition ? Êtes-vous toujours en train de penser au plat suivant ?

 

Je pense beaucoup à mes compositions mais je fais peu d’essais. Je cuisine par la pensée : le plat évolue dans ma tête puis un jour je le teste dans diverses versions. Pour moi, la cuisine est un processus mental, en bonne partie du moins

Portrait de Mory Sacko

Vous attendiez-vous à recevoir une étoile Michelin si jeune, si vite ?

 

Pas du tout et ça fait très plaisir ! On a appris qu’on a obtenu la nôtre sur Twitter, de manière inespérée. Maintenant que j’en ai une, j’irais bien en décrocher une deuxième, même si la priorité est de maintenir et d’installer cette première étoile. D’ailleurs, j’ai monté une équipe en ce sens, composée de recrues qui ont travaillé dans de grandes maisons. A ce propos, je veux rendre hommage à Émilie, ma compagne, avec qui nous travaillons en binôme. Un restaurant, ce n’est pas seulement être aux fourneaux, c’est aussi et d’abord tout le reste : la gestion, l’image, les clients… Et tout cela, c’est Émilie qui s’en charge de main de maître.

 

Si votre cuisine était une musique ?

 

Bohemian Rhapsody de Queen : une chanson enlevée, baroque… Et en réalité plusieurs chansons dans la chanson.

 

Si votre cuisine était un paysage ?

 

Tournan-en-Brie, en Seine-et-Marne, là où j’ai grandi : la rencontre improbable des barres d’immeubles avec des champs où paissent les vaches.

 

Si votre cuisine était un vêtement ?

 

Un très beau kimono, et c’est un amateur de vêtements qui le dit (NDLR : Mory Sacko a posé avec sa famille dans la dernière campagne Ralph Lauren) !

 

Un produit méconnu que vous aimeriez faire connaître ?

 

L’attiéké, la semoule de manioc qui est un délice facile d’usage. Il y a aussi le yuzukoshō au kumquat que l’on prépare chez MoSuke (NDLR : une préparation fermentée à base de piment, yuzu, sel et kumquat).

Plat Mosuke 3
Plat Mosuke 6

Quel est votre plus grand plaisir en cuisine ?

 

Lever des poissons, au calme, seul face au produit avec mon couteau. C’est un moment suspendu, de concentration et de précision, que j’affectionne particulièrement.

 

Si vous deviez faire l’éloge de vos clients, qu’en diriez-vous ?

 

Je les féliciterais pour leur ouverture d’esprit car parfois ils peuvent être bousculés ! Quand je leur sers du mbongo tchobi, un ragoût dense au poivre sauvage du Cameroun, ou de la soupe egusi du Nigéria à base de pistaches africaines, ça les sort nettement de leur zone de confort...

 

Après toutes ces aventures et après MoSuke, pensez-vous déjà à votre futur restaurant, au coup d’après ?

 

Avec Émilie, on a trois coups d’avance (rires) ! On a plein de projets annexes, hors du restaurant gastronomique, c’est important pour moi : la street food qu’on a lancée pendant le confinement avec MoSugo, qui propose notamment notre version du poulet frit. Et puis on songe aussi à une adresse plus décontractée, un bistrot-bar à vins et à sakés, servant des plats un peu moins millimétrés mais tout aussi savoureux... On a encore de belles années de cuisine devant nous !

 

Aïtor Alfonso

 

MoSuke

Ouvert du mardi au samedi, déjeuner et dîner

11, rue Raymond Losserand

75014 Paris

(+)33 (0)1 43 20 21 39

https://mosuke-restaurant.com

 

 

Crédit photo : Puxan Photo

 

* MoSuke est partenaire d’American Express et membre de la Dining Collection. L’ambition de ce programme : faciliter l’accès aux meilleurs restaurants contemporains au travers de tables exclusivement pré-réservées à l’attention des porteurs de Cartes Premium American Express.