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IMMERSION


Manon Fleury au Perchoir : champs libres

 

Juillet 2022

Manon Fleury

IMMERSION

 

 

Manon Fleury au Perchoir : champs libres

 

Nous avions découvert la cuisine végétale et défricheuse de cette cheffe au Mermoz, bistrot créatif de l’ouest parisien. Manon Fleury, la trentaine toute fraîche, a parcouru du chemin depuis : une belle résidence à Monaco l’été dernier, un engagement actif contre les violences en cuisine et la rédaction d’un livre à paraître en septembre. Un chemin qui coupe à travers champs car, dans sa cuisine, Manon explore les potentialités des légumes, des fleurs, des céréales et des herbes avec autant de talent que d’humilité. Jusqu’à fin 2022, elle s’installe au Perchoir, restaurant suspendu en haut d’un immeuble de Ménilmontant, où elle fait éclore un menu au long cours comme une promenade à la campagne. Rencontre avec cette jeune cheffe qui trace son sillon vers l’avenir.

Manon Fleury
Manon Fleury

Quand on arrive au sommet du 14 rue Crespin du Gast, on entre dans un espace industriel de verre et d’acier baigné de lumière et doté d’une vue imprenable sur Paris. Pourtant, l’atmosphère y est feutrée, presque bucolique, du fait des bouquets de fleurs séchées et de la fresque en papier à motifs végétaux qui couvre le plafond et les murs. “C’est une création de l’artisan d’art Alexandre Poulaillon, elle permet de plonger dans l’esthétique de ma cuisine et annonce tout ce qui va suivre”, raconte Manon Fleury. L’effet apaisant est immédiat, comme si on se trouvait dans un jardin suspendu ou une serre imaginaire flottant au-dessus de la ville.

Manon Fleury

On l’aura compris : la résidente des lieux à la main verte en cuisine. Manon cultive sa conscience des enjeux environnementaux qui conditionnent en profondeur l’alimentation et, par extension, la gastronomie. “Le végétal, c’est ma base alimentaire depuis toujours car ma mère était très regardante sur ce qu’on mangeait. Et puis j’ai été formée par de grands chefs comme William Ledeuil, Pascal Barbot, Alexandre Couillon ou Dan Barber alors j’ai eu la chance de travailler très tôt des légumes sublimes de manière créative. Mon tropisme culinaire pour les plantes vient de là”, confie la cheffe.

 

Elle, qui a pratiqué l’escrime en sport-études puis entrepris des études en hypokhâgne avant de se tourner vers les fourneaux, cherche à donner un supplément de sens à ses plats en période d’urgence climatique. Mais réduire les protéines animales dans la cuisine ne signifie en aucun cas renoncer au plaisir de la table, au contraire. “J’essaie de penser ma cuisine et ses implications sociétales mais je tiens absolument à ce que le goût prime sur l’idée d’un plat”, précise Manon. Son ambition consiste à réinventer la gourmandise dans le végétal, en explorant les ressources insoupçonnées de la flore française.

Manon Fleury
Manon Fleury

On parcourt le dîner en sept étapes de Manon Fleury au Perchoir comme un herbier à manger. On y découvre des plantes qui poussent dans l’hexagone et dont l’usage gastronomique nous est encore méconnu : le mélilot, l’amarante, l’orge perlé, le petit épeautre… Une séance de cueillette poétique à l’image de Manon qui passe beaucoup de temps chez ses producteurs. “A l’époque où je travaillais chez Semilla, j’ai même envisagé d’arrêter la cuisine pour aller travailler dans les champs”, confie-t-elle.

 

Heureusement, elle est restée aux fourneaux. Depuis ses débuts, son style s’est affirmé, sa ligne s’est affinée. Au Perchoir, son menu expérimental est empreint d’un onirisme champêtre capable de nous faire tenir tout un repas avec une seule pièce de chair animale sans que cela ne crée le moindre manque. En vérité, on n’y pense même pas, tant la gourmandise prend ici un tour céréalier. “La céréale, c’est le fil conducteur de ma cuisine et aussi le sujet de mon livre qui sortira à la rentrée. En cuisine j’en fais une version gastronomique ; dans le livre, je proposerai des recettes beaucoup plus simples et domestiques. Les céréales sont des aliments peu chers, nutritifs, savoureux et écologiquement durables”, ajoute la cheffe.

 

Un exemple ? La mixture de petit épeautre et riz crémeux comme un congee chinois, cette bouillie délicate, onctueuse et diaphane, ici rehaussée de fèves croquantes, d’huile de feuille de figuier et de crème d’oseille. “C’est le plat qui marque le plus les clients” sourit Manon, qui a réussi le pari de redonner ses lettres de noblesse aux céréales bouillies, base culinaire ancestrale de tant de civilisations dans le monde.

Perchoir

Ailleurs, c’est le légume et l’algue qui jouent ensemble. C’est le cas dans ce plat qui donne le premier rôle à la courgette, sous toutes ses coutures : un médaillon cuit vapeur, un autre grillé, de fines lamelles crues et même la fleur dont le pistil est vinaigré comme un pickle. Au fond de l’assiette, un praliné de graine de courge apporte ses notes grasses et enrobantes. Et en écho, dans un rôle secondaire, arrive la lotte enroulée de kombu, cette algue produite en Bretagne qui contribue à rendre la chair du poisson nacrée et dense.

 

En dessert, les grosses cerises de saison à peine cuites, sont enchâssées dans une crème au lait de soja onctueuse aromatisée au mélilot, cette plante fourragère aux notes vanillées qui pousse en Auvergne. Une crème aux cerises de grand-mère remise au goût du jour, en somme. “J’aimerais bien pousser la recherche sur ces desserts végétaux sans avoir à utiliser des produits qui viennent de l’autre bout du monde et en ne laissant pas de côté l’hédonisme propre au moment sucré du repas”,

confie Manon.

Manon Fleury

Entre rusticité et modernité, la cuisine de Manon semble emprunter à des techniques du passé des pistes pour un avenir culinaire désirable, comme par effet de boucle temporelle. Autre signe du contemporain en cuisine : l’équipe de Manon est entièrement constituée de femmes, des cuisinières en reconversion pour la plupart. Il y a Louise, l’ancienne graphiste, Aurore, ex-photographe, Laure qui travaillait dans le cinéma et Juliette, la sous-cheffe. “Le fait d’avoir une équipe féminine permet à chacune de se sentir en sécurité, dans un groupe bienveillant. J’espère que cela contribuera à leur faire aimer le métier et qu’elles se disent qu’elles ont leur place dans une cuisine !”, conclut la cheffe. Avec son savoir-faire et ses idées, Manon Fleury a encore bien du champ devant elle.

 

Aïtor Alfonso

 

Manon Fleury au Perchoir Ménilmontant

Ouvert du lundi au vendredi, au dîner

14 rue Crespin du Gast

75011 Paris

https://leperchoir.fr/location/le-perchoir-menilmontant

 

Crédit photo : Olivier Toggwiler