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IMMERSION

 

 

Du début à la faim :

naissance d’un plat

chez Quinsou

 

 

Décembre 2021

 

Bitronomie

IMMERSION

 

 

Du début à la faim : naissance d’un plat chez Quinsou

 

 

Depuis les cuisines exiguës du restaurant Quinsou*, le chef Antonin Bonnet façonne une gastronomie sensible de haute exigence écologique. Guidée par le rythme des saisons, le souci du vivant et les arrivages de petits producteurs, son enseigne a tout de suite été plébiscitée par la critique, au point de se voir décerner une étoile au Guide Michelin. Nous avons suivi cet éco-cuisinier lors de l’élaboration d’une recette et, le temps d’une après-midi, nous avons été les témoins privilégiés de la naissance et de l’envol d’un plat.  

Quinsou vitrine
Table Quinsou

Il est un peu plus de 15 heures et la journée bat son plein rue de l’Abbé-Grégoire, près de la Tour Montparnasse, à Paris. Au 28, quelques apprentis cuisiniers font des va-et-vient, mallette de couteaux à la main, devant les portes de la célèbre école hôtelière Ferrandi. Sur le trottoir d’en face, au 33, Antonin Bonnet raccompagne les derniers clients du service du midi à la porte de son restaurant et les salue amicalement. D’un pas pressé, le chef de Quinsou réceptionne une demi-douzaine de cartons de vin, puis s’engouffre derrière le bar dans le petit escalier qui mène au garde-manger, avant d’en ressortir quelques minutes plus tard les bras chargés. Sur le comptoir en zinc patiné, témoin du passé bistrotier du lieu, il dépose une cagette remplie de curieux légumes verts et blancs à la forme oblongue.

Vue de haut Quinsou
Légumes Quinsou

« Voici les beaux radis Green Meat que j’ai reçus ce matin, explique Antonin en se saisissant de l’un de ces radis d’hiver à la chair couleur crème, originaires d’Asie et réputés pour leur texture croquante et juteuse. Ils proviennent du Doyenné, la ferme-potager de James Henry et Shaun Kelly, située à Saint-Vrain, dans l’Essonne. J’ai prévu de les utiliser pour une nouvelle recette que je présente ce soir en entrée du menu dégustation ». Comme tous les jours d’ouverture, du mardi au samedi, Antonin Bonnet profite du calme de la coupure pour faire le point sur ses commandes auprès des producteurs et passer au banc d’essai ses dernières créations culinaires.

Chef à Quinsou

Depuis son ouverture en 2016, ce restaurant de poche vole haut dans le ciel gastronomique. Guidé par le chant du “quinsou”, nom occitan du pinson, petit oiseau migrateur des forêts, Antonin Bonnet chante la douce mélodie d’une cuisine ancrée dans la nature. « On fait très attention à la clarté des goûts et à l’intégrité de la matière première que l’on utilise, déroule le chef d’origine cévenol, d’une voix posée et douce. On essaie de proposer une cuisine juste et lisible, qui respecte la structure des aliments mais ne s’empêche pas de jouer sur les assaisonnements. » Une approche presque sacerdotale du produit – Antonin connaît personnellement chacun des producteurs avec qui il travaille en circuit court – et inspirée de la philosophie de Michel Bras, son mentor, auprès duquel il a commencé sa carrière, au Suquet à Laguiole, au milieu des années 1990. Sa cuisine s’est ensuite enrichie et affirmée au fil de son parcours : au sein de la prestigieuse brigade du Oak Room de Marco Pierre White, à Londres, puis seul aux manettes du Greenhouse, toujours dans la capitale anglaise, et enfin au Sergent Recruteur, sur l’île Saint-Louis, une fois de retour à Paris. Désormais, chez Quinsou, sa propre adresse, Antonin Bonnet donne à goûter une partition traversée par ses influences. Elles sont tantôt coréennes, japonaises, méditerranéennes ou encore « paysannes » : « Je suis porté par différents flux, différents mouvements. Mais il y a toujours cette même trame au centre qui est : le produit et sa lisibilité. »

Carnet Quinsou
Chef à Quinsou

Il est bientôt 16 heures chez Quinsou où mijote doucement un bouillon de volaille. Sur l’une des tables en bois qui jonchent le restaurant, Antonin Bonnet a installé son ordinateur portable et déposé un grand carnet à la couverture de cuir usée par le temps. « C’est dans ce cahier que se condense toute la vie du restaurant, explique-t-il. Sur la première page, c’est mon emploi du temps… » Antonin tourne les pages comme s’il feuilletait les différents chapitres d’un journal intime. « On arrive au plus intéressant, ce sur quoi je passe le plus de temps : la partie création », poursuit-il. Des post-its multicolores ornent une cinquantaine de pages noircies par des dessins et annotations : « D'un côté, on a la liste des plats en cours d’élaboration. Et puis, quand il y en a un que je visualise un peu plus nettement, je dessine un petit croquis qui va avec. » On l’interroge : quel est le processus à l’œuvre ; comment lui viennent toutes ses recettes ? « Chaque plat est une nouvelle histoire, il n’y a pas de schéma prédéfini. Parfois, il me vient une idée et jusqu’au dernier moment, jusqu’à la dernière seconde, il va manquer quelque chose – et tout à coup, il y a une petite case qui s’allume : la connexion se fait et je cherche un chemin de création. Cela peut être un produit qui est arrivé le matin, une association qui m’apparaît… Je construis mes recettes comme quelqu’un qui jouerait du jazz : c'est le produit qui guide l’émotion, dans le moment ; cela dépend de ce que j’ai envie de jouer, de manger. »

Recette Quinsou

À la page du jour, on retrouve la trace des radis Green Meat de la ferme du Doyenné : « Tenez, j’ai noté ici l’intitulé de cette entrée que l’on va servir pour la première fois ce soir : Carpaccio de radis Green Meat et coques, émulsion de soja, fine gelée iodée au kombu. » Pour imaginer ce plat, Antonin est parti d’une idée et d’un plaisir simple : manger des fruits de mer en les accompagnant d’un morceau de pain, de mayonnaise et d’un peu de radis frais râpé. « J’ai repris les principes et j’ai essayé d’éclaircir l’idée, de faire quelque chose d’un peu plus délicat, plus raffiné. Je vais vous montrer. »

Main du chef à Quinsou

Antonin Bonnet enfile son tablier et nous entraîne en cuisine pour l’une des étapes majeures de son processus de création culinaire : la fabrication d’un prototype de plat. « Quand j’ai une idée, je fais toujours un premier test, et ensuite toute l’équipe goûte ensemble, précise le chef en installant son plan de travail. C’est important que mon équipe en salle puisse comprendre les plats et être en mesure de les raconter de façon lucide et convaincante aux clients. Pour les équipes en cuisine, c'est pareil, il y a un vrai enjeu de retour et de transmission : il faut goûter pour avoir en mémoire la construction du plat et être en mesure de le reproduire dans le futur. » À proximité du passe, à la lumière d’une lampe de plafond, la mise en place d’Antonin Bonnet prend forme. Dans un grand tupperware, la base du plat : une mayonnaise sans œufs. « Il y a quelque chose qui me dérangeait dans la mayonnaise : c’était le goût d’œuf. Alors j’ai décidé de l’enlever, explique le chef. Je suis parti d’une base de lait de soja, auquel j’ai ajouté un bouillon légèrement iodé au dashi (NDLR : un bouillon japonais à base d’ingrédients marins) que l’on a enrichi de sauce soja. » Antonin Bonnet se saisit d’une cuillère et dessine un disque de mayonnaise au centre d’une assiette blanche. Il commente ensuite le dressage en direct : « Sur ce socle, je dépose des coques cuites que j’ai voulu garder naturelles en les cuisant à la marinière, dans leur jus tout simplement, avec une petite branche de thym. J’ajoute une pellicule de gel d’algue maison : une infusion d’algue kombu, comme un dashi, qui va venir rappeler la trame iodée. Ensuite, je passe le radis Green Meat à la mandoline et dispose les rondelles sur les coques en formant une rosace. Le radis joue une vraie fonction visuelle : en transparence, on devine les coques qui sont dessous. J’ajoute une toute petite pincée de fleur de sel et je râpe du zeste de yuzu, qui est un agrume très profond et qui vient agir ici comme un révélateur de saveurs. J’ajoute enfin une spirale d’huile verte aux feuilles de moutarde – et je finalise délicatement l’assiette en déposant, à la pince, quelques pétales de pensée. Ça, c’est surtout pour l’aspect esthétique. »

Plat Quinsou
Deuxième plat Quinsou

Le chef recule d’un pas comme pour mieux apprécier les différentes perspectives du plat. Il tourne l’assiette de trois-quart, prend une fourchette, en pique la surface, et goûte une rondelle de radis, une coque, un trait de mayonnaise et murmure : « Voilà, c’est ça. »

 

Il ne reste plus qu’à servir la nouvelle assiette tout juste créée aux clients du soir, en espérant que cet accord soit aussi une évidence pour eux. Ainsi s’écrit l’aventure d’un plat.

 

Léo Bourdin

 

Quinsou

Ouvert le mardi, au dîner uniquement, et du mercredi au samedi, au déjeuner et au dîner

33, rue de l’Abbé-Grégoire

75006 Paris

(+)33 (0)1 42 22 66 09

https://www.quinsourestaurant.fr

 

Crédit photo : Puxan Photo

* Quinsou est partenaire d’American Express et membre de la Dining Collection. L’ambition de ce programme : faciliter l’accès aux meilleurs restaurants contemporains au travers de tables exclusivement pré-réservées à l’attention des porteurs de Cartes Premium American Express.